SPIRITUALITÉ EUDISTE - THÈMES MAJEURS

 

 

En un sens, il n'y a qu'une spiritualité chrétienne : celle de l'Évangile.

Cependant il existe dans l'Église diverses familles spirituelles : elles vivent le même Évangile, mais chacune avec un accent particulier, dans un climat original. L'École française, née de Bérulle, est l'une de ces familles; saint Jean Eudes est l'un des maîtres qui l'ont illustrée.

 

On a noté ici les thèmes les plus caractéristiques de la spiritualité eudiste : il ne faut donc pas y chercher un exposé complet de foi chrétienne (par exemple, il n'y est pas explicitement question de l'Eucharistie).

Pourtant, on trouvera dans ce résumé un ensemble assez large de vérités chrétiennes : il ne pouvait en être autrement puisque toute spiritualité chrétienne authentique a sa source dans l'unique Évangile et ne peut rien y ajouter. Ce qui est propre à une tradition spirituelle particulière, c'est un certain éclairage, ce sont certaines options dans la façon d'aborder les grandes réalités chrétiennes— qui sont évidemment les mêmes pour tous.

Ces thèmes ont été réexprimés en mots de notre temps: on ne trouvera donc pas ici le langage même de Bérulle ou de saint Jean Eudes, sauf quand leur langage — c'est très souvent le cas — s'inspire directement de l'Écriture.

En revanche, on n'a pas cherché à redire ici les orientations spirituelles caractéristiques de notre temps, telles que le désir d'une simplicité, d'une pauvreté, d'une fraternité vraiment évangéliques, ou le goût des formes dépouillées et comportant peu de paroles ; elles doivent être de toute façon vécues par nous. On peut même dire que notre fidélité à la tradition spirituelle eudiste ne sera vraie que si nous sommes en même temps fidèles aux invitations que l'Esprit Saint adresse à l'Église de notre temps. Et c'est précisément cela que l'Église, aujourd'hui, attend de nous, comme la mise en valeur d'une part de son patrimoine dont nous sommes responsables que nous vivions pleinement, en une synthèse originale et vigoureuse, cette double fidélité.

 

  1. Dieu au-dessus de tout, en tout, au terme de tout

Dieu, Trinité bienheureuse, est avant toutes choses. Tout vient de Dieu. Le Père, par son Fils Unique, est source de toute réalité. « Il est » le premier, il a aimé le premier : tout jaillit de son amour et tout répercute sa gloire.

C'est son amour qui a fait les hommes capables de reconnaître dans la joie qu'ils tiennent tout de lui et sont faits pour lui. C'est son amour miséricordieux qui a sauvé, par la Croix du Christ, les hommes pécheurs, et les a, par grâce, rendus capables d'aimer divinement, dans l'Esprit Saint.

Tout tend à Dieu. Tout le dynamisme de l'univers est orienté vers Dieu et s'achève en adoration. Les hommes, sanctifiés par l'Esprit Saint, ont à s'offrir au Père dans l'élan d'un libre amour: tel est le sacrifice qui glorifie Dieu en Jésus-Christ. Pécheurs ils en seraient radicalement incapables; mais la grâce de Dieu en eux est toute-puissante. Rien ne se comprend qu'en Dieu. Tout prend sens à partir de sa pensée, de son dessein, de son amour. Aussi cherchons-nous :

  • à voir toute réalité avec le regard du Christ ;
  • à juger toute réalité à la lumière de l'Évangile, dans l'Esprit ;
  • à agir en tout selon la volonté du Père, qui aime le monde.

Adoration, action de grâces, admiration pour la gloire de Dieu manifestée en Jésus-Christ, sont le climat de toute notre vie.

 

  1. Jésus-Christ et son Corps mystique

En définitive, ce qui fait la gloire et la joie du Père, c'est l'amour de son Fils bien-aimé. C'est pourquoi il a envoyé ce Fils au monde pour arracher les hommes à la puissance des ténèbres, et pour qu'ils aient la Vie en lui ; le Verbe fait chair est la Vie du monde, et le Père aime toutes choses en lui, il l'aime en toutes choses.

Dès lors, toute réalité doit être « incorporée » à Jésus-Christ, et l'histoire du monde, c'est l'histoire de la construction du Corps mystique de Jésus-Christ.

L'Esprit Saint ne cesse de former Jésus-Christ dans le coeur des hommes, jusqu'à ce qu'il soit tout en tous. L'Esprit rassemble les enfants de Dieu dans la communion du Père et du Fils.

 

  1. Le Coeur du Christ « coeur nouveau » des enfants de Dieu

C'est en Jésus-Christ que Dieu nous révèle et nous donne son amour; c'est en Jésus-Christ que nous pouvons aimer Dieu d'un amour vraiment filial. En lui, Dieu nous aime avec un coeur d'homme; en lui, nous pouvons aimer Dieu avec le Coeur de son Fils bien-aimé.

Le Coeur du Christ est le coeur de tout son Corps mystique, le « coeur nouveau » donné aux enfants de Dieu pour qu'ils puissent aimer en vérité Dieu et leurs frères, avec les sentiments qui sont ceux du Christ Jésus.

C'est du Coeur de Jésus ouvert par la lance — expression suprême de l'amour de Dieu pour les hommes — que la vie s'est répandue sur le monde. Ce signe du coeur nous dit que le premier et le dernier mot de tout, c'est l'amour.

 

  1. Marie un seul coeur avec le Christ

Marie, humble servante du Seigneur, a cru sans réserve à l'Amour de son Dieu : aussi le Christ a-t-il pu la combler de sa grâce et être tout en elle.

Le Coeur du Christ vit et aime en elle. Il la fait participer aux mystères de sa vie et à l'amour qui nous sauve: jamais aucun être n'a vécu comme elle le « Mystère du Christ ». Si bien que nous pouvons contempler en elle la vie et les sentiments du Christ — tout l'Évangile — vécus parfaitement dans un coeur proche du nôtre. Elle est à jamais, pour tous les hommes, le « type » même de la vie dans le Christ.

Le Christ lui fait part de sa gloire et de sa seigneurie. C'est à lui en elle que nous faisons hommage de notre être quand nous appelons Marie « notre Dame » et Reine de l'univers.

Il a voulu être son Fils avec tout son Corps mystique; elle est donc notre Mère. Il nous fait participer à sa tendresse filiale envers sa Mère, qui est aussi la nôtre: nous aimons Marie avec le Coeur du Christ son Fils.

 

  1. Le Baptême incorporation au Christ

Par le Baptême, Dieu nous offre son alliance.

Il nous consacre à la gloire de la Trinité. Le Père fait de nous ses enfants, membres de Jésus-Christ, sanctifiés par l'Esprit Saint, frères les uns des autres.

Par le Baptême il nous appelle à la perfection de l'amour et nous en donne les moyens.

Il nous fait aussi participer au sacerdoce de Jésus-Christ. Les baptisés forment un peuple royal et sacerdotal offrant au Père, dans le sacrifice du Christ, la louange de l'univers.

Le baptême, notre Pâque, accomplit en nous un mystère de mort et de vie.

 

  1. Morts avec le Christ pour une vie nouvelle

Le Baptême nous fait, chaque jour, mourir avec Jésus-Christ

  • au péché, qui refuse le Dessein de Dieu et dit non à l'amour ;
  • au « monde » de Satan, réseau de relations humaines fermées sur elles-mêmes, lourdeur et opacité qui s'opposent à l'Amour ;
  • à nous-mêmes, c'est-à-dire à cette recherche orgueilleuse et possessive de nous-mêmes, qui, plus ou moins subtilement, stérilise nos sentiments, nos pensées et nos vouloirs en les fermant à l'amour.

Ce renoncement, fréquemment renouvelé et reformulé au cours de nos journées, est déjà amour, préférence radicale de la volonté du Père en commumion avec le OUI du Fils bien-aimé.

 

  1. L'ascèse chrétienne communion aux mystères du Christ

C'est en communiant aux mystères et aux vertus du Christ que nous nous laissons peu à peu transformer par eux, et que notre vie se convertit à l'Évangile.

Cela s'accomplit au rythme de la vie liturgique, que prépare et prolonge la prière silencieuse.

Notre désir de conversion exige évidemment les efforts persévérants de notre volonté ; mais il s'exprime avant tout par la contemplation du Christ: nous contemplons la gloire de Dieu qui est sur le visage de Jésus-Christ pour que cette gloire nous transforme nous-mêmes; nous renonçons à nous-mêmes, nous nous donnons à l'Esprit de Jésus dans une humble prière, pour qu'il nous saisisse et nous configure au Fils bien-aimé.

Ainsi toute notre vie — prière, tâches terrestres, service apostolique, souffrances, relations fraternelles, etc—est vécue de plus en plus comme une continuation de la vie du Christ, dans le désir qu'il vive et règne parfaitement en nous.

 

  1. Toute la vie dans un climat contemplatif

Ainsi, le climat de toute notre vie est « contemplatif » : nous essayons de vivre, le regard fixé sur Jésus-Christ et sur les « insondables richesses » de son mystère, le coeur empli d'admiration et d'action de grâces. Et nous gardons le coeur disponible, dans une attitude d'humble confiance, au travail secret de l'Esprit Saint qui peu à peu nous purifie, nous éclaire et nous unit à Dieu.

Aussi attachons-nous beaucoup de prix à la prière, qui nous rend attentifs aux mystères du Christ et aux secrets de son Royaume, et qui nous livre à l'action de sa grâce.

 

  1. « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie »

Loin de concurrencer l'activité apostolique, cette orientation contemplative la valorise pleinement ; elle nous fait vivre consciemment l'apostolat comme ce qu'il est réellement: une participation à la Mission du Christ, reçue de son Père et transmise à l'Église par son Esprit.

Car l'apostolat prend sa source dans le Coeur du Père, qui aime les hommes et veut le leur manifester. Il nous fait communier au Christ, pressé de révéler aux pauvres l'amour dont ils sont aimés, et de livrer sa vie pour ses frères. Et c'est l'Esprit du Christ qui oeuvre en nous et par nous:

  • pour révéler au monde l'amour sauveur ;
  • pour rassembler dans son unité les enfants de Dieu dispersés ;
  • et pour faire vivre et régner le Christ en toute réalité.

 

  1. Prêtres et pasteurs dans le Christ Prêtre et Pasteur

Le Christ, Verbe fait chair, est l'unique Prêtre: en lui, qui est Dieu et homme à la fois, l'humanité est réconciliée avec Dieu, rassemblée dans l'amour, offerte en un sacrifice de louange qui glorifie parfaitement le Père.

Tout le Corps du Christ est sacerdotal : tout homme, uni au Christ par la foi et l'amour, est appelé à devenir, en lui, offrant et offert, prêtre et hostie.

La Parole et les sacrements du Christ sont nécessaires pour consacrer le Peuple sacerdotal et lui permettre d'offrir le sacrifice parfait: cela requiert le ministère des prêtres. En eux, l'unique Prêtre, Tête du Corps et Pasteur de son Peuple, est présent pour sauver, consacrer et offrir tout l'univers, dans la sainteté de son Esprit, à la gloire de Dieu le Père.

 

Paul MILCENT, cjm


Article paru dans Notre Vie n°121, octobre 1968, page 112-117

 

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