[Jean-Marie Gourvil – Dominique Tronc], éd., Rencontres autour de Jean de Bernières, 1602-1659, Mystique de l’abandon et de la quiétude, Mectildiana, Etudes et documents 2, Parole et Silence, Paris 2013, 596 p.
Pour célébrer le 350° anniversaire de la disparition de Jean de Bernières Louvigny, Jean-Marie Gourvil a sollicité le Centre d’Etudes Théologiques et la paroisse Saint Jean de Caen (Calvados) pour organiser une journée d’études autour de la figure du mystique normand et de ses amis. Ce colloque eut lieu le 13 juin 2009. Dans la présentation de la collection Mectildiana, le volume est annoncé comme « Actes du colloque du samedi 13 juin 2009 à Caen pour le 350° anniversaire de la mort de Jean de Bernières, éd. Par Jean-Marie Gourvil et Dominique Tronc » (p.5). Mais « le présent ouvrage a été construit en complétant largement des matériaux recueillis lors de ce colloque. Tandis que les auteurs des contributions orales ont depuis remanié leur texte, des études complémentaires ont été sollicitées auprès d’autres connaisseurs de Bernières, et grands amateurs de ses écrits mystiques. Nous n’avons pas voulu restreindre leurs approches alors même qu’elles privilégient tel disciple plutôt que le maître, car elles illustrent aussi son rayonnement » (p. 11). Ce qui donne ce fort volume, où on trouvera inévitablement des répétitions.
L’ouvrage se compose de quatre parties inégales : I. situer M. de Bernières (p. 17-111) ; II. Jean et ses amis spirituels (p. 115-308) ; III. Jean dans son siècle (p. 311-421) ; IV. Lire Jean de Bernières (425-588).
La communication de John A. Dickinson, titulaire d’une chaire d’Etudes Canadiennes : «Caen à l’époque de Jean de Bernières et de François de Montmorency de Laval » p. 17-27 situe le contexte économique, culturel, intellectuel et religieux dans lequel évoluent nos personnages. Le long article de Dom Joël Letellier, « L’entourage et la spiritualité de Jean de Bernières (1602-1659). Avec quelques caractéristiques de ses lettres contenues dans les Œuvres spirituelles en la première période de sa correspondance, 1641-1645 », p. 29-111, tient la place de l’intervention orale du signataire de ces lignes sur « Jean de Bernières en son temps et en sa ville ». L’ampleur du mémoire érudit de Dom Letellier, directeur de la collection Mectildiana et postulateur de la cause de la servante de Dieu Mectilde du Saint-Sacrement, permet un très large panorama bien informé. Cependant, on corrigera systématiquement (p. 39 à 43) Jean-Baptiste de Saint-Jure en Jean-Baptiste Saint-Jure, et p. 39, on complétera en 1611 la date de fondation de l’Oratoire de Pierre de Bérulle.
La deuxième partie est consacrée aux amis spirituels. Madame Isabelle Landy-Houillon, de l’université de Paris VII, nous entretient de « La présence de Jean de Bernières dans les écrits de Marie de l’Incarnation et de son fils Dom Martin » (p. 115-132). « Une entreprise aussi téméraire qu’ambiguë, car si la présence littérale de Monsieur de Bernières dans les textes conservés, signifiée par son nom propre, est somme toute bien mince, la parenté spirituelle qui unissait les trois protagonistes est en revanche évidente, et l’éloignement des êtres ne fit que favoriser l’écriture et la circulation, par delà l’océan, de la plus haute spiritualité » (p. 117). Une aventure : En février 1639, Jean de Bernières, et une riche veuve d’Alençon, Mme de la Peltrie, dont il est supposé être le nouvel époux, viennent chercher à Tours Marie Guyart de l’Incarnation pour la conduire à l’embarquement à Dieppe – avec ses compagnes - à destination du Canada le 4 mai suivant. Bernières demeure en France pour assurer les finances grâce aux revenus de Mme de la Peltrie. C’est à la spiritualité et à son langage que Mme Landy-Houillon porte son attention : humilité et humiliation, « accoisement » et quiétude, les tours concessifs qui disent un néant capable de Dieu, une contemplation épanouie dans la charité.
Dom Thierry Barbeau s’attache à « Un disciple méconnu de Jean de Bernières : le bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec (1623-1708) (p. 133-171). Une esquisse biographique de François de Laval (p. 135-143) précède l’exposé du séjour à l’Ermitage et de la direction spirituelle de Jean de Bernières (p. 144-153). Le dernier tiers de l’article relève l’écho de cette formation dans le pastorat de François de Laval et la fondation du séminaire de Québec (p. 153-171).
Monsieur Bernard Pitaud, p.s.s., étudie « La correspondance spirituelle entre Jean de Bernières et Mère Mectilde du Saint-Sacrement » (p.173-269). De 1642 à la mort de Bernières en 1659, la correspondance entre l’ermite de Caen et la fondatrice est établie principalement à partir de deux ouvrages, l’un manuscrit, la Vie de la vénérable Mère Catherine Mechtilde, de Mlle Gauthier de Vienville, petite nièce de la mère Mectilde, et l’autre publié à Paris en 1677, les Œuvres spirituelles de M. de Bernières-Louvigny ou conduite assurée pour ceux qui tendent à la perfection. B. Pitaud souligne le caractère fragmentaire de la documentation, et s’efforce d’analyser le type de relation spirituelle entre les deux correspondants au fil des années et de la succession des autres directeurs (p. 178-216) avant d’étudier l’évolution de la vie spirituelle de la Mère Mectilde (p. 217-269).Quelques dates ajoutées seraient les bienvenues pour ne pas égarer le lecteur, v.g., 1643, p. 179, 1646 aux pp. 190-191, et 1647 aux pp. 193 et 195. On relèvera la « petite voie » de Mère Mectilde, le « petit sentier secret » : « Je ne trouve que Dieu seul pour tout appui et [qu’]en lui, je trouve ma seule suffisance » (p. 269).
La III° partie est inaugurée par Jean-Marie Gourvil « Jean de de Bernières dans l’histoire sociale et spirituelle de l’époque moderne » (p. 311-379). Un vaste tableau biographique (p. 311-330), une mise en situation culturelle et spirituelle (p. 331-345), l’épanouissement dans les œuvres de compassion et d’éducation (p.346-368) précèdent les pages sur les traits spécifiques de la spiritualité de Bernières (369-379). Qu’il me soit permis de suggérer quelques corrections, laissant de côté des remarques grammaticales, stylistiques ou linguistiques . La manifestation anti-janséniste des disciples de l’Ermitage dans la ville de Caen « sommairement vêtus, à la limite de la décence » (p. 331, cf. p. 351-352). On se rappellera qu’au XVII° siècle, « nu, en chemise » doit s’entendre « sans habit (mais avec des chausses). L’habit est une tenue complète, comme l’atteste Molière pour Monsieur Jourdain : son habit, c’est son pourpoint, sa rhingrave, ses bas… etc. (cf. Abbé E. Laurent, Monsieur de Bernières-Louvigny, Caen, Chénel, 1872 p. 151 : « les jeunes solitaires…laissèrent éclater sans retenue, et en se livrant à des manifestations inconvenantes, la haine qu’ils portaient au Jansénisme » ; p. 155 : « s’arrêtant dans les carrefours, les mains jointes sur la poitrine, ils se mettaient à crier : « Priez Dieu pour la ville de Caen, qui est pleine de Jansénistes »…Leur air et leurs gestes, leurs vêtements en désordre (car les prêtres étaient sans collet et les laïques sans cravate) causaient un grand étonnement dans le peuple »). A la p. 336, on corrigera dans le dernier paragraphe fausse commune en fosse. Renty meurt en 1649, à 38 ans le 24 avril en non en 1659 (p. 341). Enfin, p. 344, les dates du P. de Caussade seraient les bienvenues (1675-1751). On pourrait aussi discuter (p. 359) les affirmations concernant la perception de saint Vincent de Paul et de saint Jean Eudes au XVIII° siècle.
Dominique Tronc, éditeur des textes mystiques de l’époque moderne, et entre autres de Jean de Bernières, (Œuvres Mystiques, t. I, Ed. du Carmel, Toulouse 2011, t. II, Correspondance, avec la collaboration de Dom Eric de Reviers, à paraître au Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Mers-sur-Indre) reprend ici son introduction : « Jean de Bernières, sources et influences sur l’histoire de la spiritualité » (p. 381-421). L’érudition de l’auteur et son champ de recherches lui permettent de baliser son exposé en trois temps : 1) le succès éditorial post mortem (p. 382-389) ; 2) l’influence des amis spirituels au XVII° siècle (p. 389-407) ; 3) les résurgences du XVIII° siècle à nos jours (p. 407-421)
La IV° partie s’ouvre par l’importante étude de Dom Eric de Reviers : « Jean de Bernières, portrait spirituel à partir de sa correspondance et de ses notes spirituelles » (p.425-569) suivie de l’anthologie « Textes de Jean de Bernières lus en l’église Saint-Jean de Caen le 13 juin 2009 » (p.571-576). Le portrait est dressé sous trois titres : « un pauvre ermite caché au fond de sa solitude » (p. 431-452), Maître du saint Abandon et de l’enfance spirituelle (p. 452-477), Chantre de l’oraison contemplative (477-569). Présenter Bernières comme directeur et confident de saint Jean Eudes (p. 427) relève d’une appréciation excessive. J’avais abordé cette question dans ma communication.
Aux p. 383 et 441, on corrigera la date de la mort de Jourdaine de Bernières (1596-1645). Elle meurt en 1645 et non en 1670.
Le P. Joseph (et non Jean comme indiqué p. 8) Racapé, archiviste des Eudistes présente : « Sources Bibliographiques. Le « paysage mystique normand » abordé par Charles Berthelot du Chesnay, eudiste » (p. 577-582). Un bel hommage au savant historien eudiste, et à ses dossiers et notes sur Bernières, dans un ouvrage dont l’achevé d’imprimer (p. 595) précède de quatre jours le centenaire de la naissance du P. du Chesnay (10 août 1913 – 4 août 1975).
Dominique Tronc établit le catalogue « Des éditions anciennes aux éditions contemporaines » (p. 583-588) avant la présentation des auteurs (p.589-590) et la Table de l’ouvrage.
On le voit : le volume dépasse de beaucoup les communications et textes lus le 13 juin 2009 (J.A Dickinson, I. Landry-Houillon, J.-M. Gourvil, D. Tronc). La visite des lieux et du quartier de l’Ermitage, conduite par Sœur Marie-Françoise Le Brizaut, ndc., a un écho dans les plans et photos des p. 328-329. On saura gré cependant à la collection Mectildiana et à ses directeurs d’avoir accueilli ce fort volume. Peut-être certaines redites auraient pu être évitées. Peut-être aussi la condamnation des écrits de Bernières (par l’Index, de 1689 à 1728) illustre le fameux adage : le destin – pour se venger des grands hommes – leur donna des disciples.
Daniel Doré, C.J.M.